A MARCHE LENTE
1.
Ce que voit la lune :
L'empreinte du fleuve
Le ventre galactique du poisson
J'avance nue et illisible
2.
Le dimanche des Objets
L'Objet du dimanche
l'orvet
les yeux de verre
3.
Beauté du nuage
forme altérée du latin NUBES
Essaim, Voile, Obscurité
Multitude
se photographie mal
4.
Je reviens
d'où on ne peut dire je
reviens
J'aurais voulu aimer la mer
la langue des brisants
5.
Matière à maintenant: Photographie
fils d'or, fil d'eau
6.
Ainsi tous ces visages
se rassemblent et ne forment
plus qu'un:
l'âme et l'animal
7.
Cinq papillons
Idea
Pulelehua
Catocala
Mesosemia
Hesperia
sur le miroir de ma main
8.
Jardin des résidus
sons et lumières
smer - memor - memini
Le parfum des méduses
et des mots saints
donne le vertige.
9.
Au bord du lac
d'impavidité
où sont les arbres pour -
Soudain
il faut changer de langue
10.
La métaphore - un paysage -
Je ne sais plus à quoi
ressemble le poëme
11.
Plötzlich am Horizont der Scherben
plötzlich Scherbenhorizont
meiner Sprache Taubengrau
Taubenzunge
sitzt klingentief
im Traum
12.
Je lie par le poëme
la mer et la montagne
de loin en loin
D'un coup le vent s'est levé
Terre Mer Sel Ciel
l'a saisi et déployé
blanc comme la paume de la main
13.
L'Arbre -
les fruits de l'arbre -
Tout rythme englouti
La pluie efface
14.
Je suis devant toi
hérissée de paroles
(Nous pourrions aller nous promener,
faire fi des apparences ?)
Sommeil agreste
me voici !
15.
Himmelwort
Wortblau
Sonnenwort
Wörterwind
und Vögel
geräuschlos aber sichtbar schön
16.
Paupières du soir
à la lisière des choses:
Je suis le berger des visions
de voiles languides à l'horizon,
vagues silhouettes closes -
17.
L'écume tintinabule
d'ongles et d'écailles
en-dessous tonne
le jour silencieux des couleurs vives et calmes
la mer
un ciel où l'eau se déverse
18.
A une nuit d'orage.
Lorsque bat le tambour
Lorsque la pluie
frappe l'oiseau-foudre
(la lune gibbeuse balançant
au-dessus des eaux),
les noms anciens perdent leurs visages
Hadar Achernar
Saos Shamla
Unki Algol Nirfat
Les porteuses de lumière
brandissent
la flamme-éclat,
anéantissant
le silence obtus de la matière
et avec elles
l'oubli naissant
de l'ensemble des choses
19.
Ein Flug
den Himmel pflügt
mit silbrigen Motoren:
hochoben,
da will ich sein !
20.
Le chemin
passe par le fleuve.
Un soupir
vient rider
l'onde des
graminées stridentes
Au loin croisent pâles
les feux des mains d'oiseaux
et les nuages
qui tranchent dans le vif du ciel
21.
L'ironie de l'oeuvre
l'oeuvre de l'ironie
personne n'a de réponse
l'imposteur ouvre ses bras
au torrent passionnel
sa mort n'aura rien
apporté
22.
Ses poëmes
me relient au monde
Je leur parle
de voyages impossibles
J'aligne les couleurs et les formes.
Il me répond:
"Explore les forêts d'images
les doublons mystérieux,
Plonge dans les eaux troubles
de la catachrèse ! "
Je m'accroche à ma jeunesse
liane souple du bonheur
et n'en ressens aucune fatigue.
"La beauté faite chair
est un véhicule,
le sans-visage monté sur roues
me croise, moi qui suis
dépourvu de pieds et de mains,
qui vais mourir bientôt,
moi qui vois par ce poëme - "
23.
T'arrive-t-il
de ne plus te souvenir
de ce que tu as écrit ?
Oui, cela m'arrive -
La pupille -
Un train qui monde le paysage -
Une mesure de ce que tu veux.
Tout ça je l'oublierai pour l'exemple.
24.
Le poëme de la grotte
où l'on ne reconnaît
sa main propre
au plus profond du mystère:
As-tu encore de quoi dire ?
25.
Pendant que tu t'endors
des visages d'oiseaux
passent devant la lune -
Si seulement j'avais
- un rêve -
sans papier ni plume
26.
Panique noire
plus d'ailes
plus d'air
plus d'organes
plus rien
pelure d'ours vide
27.
Le sommeil des pierres
Steinschlaf - Steinschlag
28.
Réjouis-toi
bientôt couché
sur un lit de pluie
bruissante, fraîche
ou même froide
Voici les fleurs aux corolles qui tournent
dans le râle du vent
et la fontaine exhalant
un parfum de framboise
Au creux du val des miracles
l'enfant revient à lui
29.
Il est très agréable
déclare la fleur
de ne rien se rappeller,
de parler quand les mots
ne ressemblent à rien
d'autre jaune d'autre pétale
pâle et identique
un vertige qui s'ignore
à présent
30.
Les nuages ont telle ou telle forme;
l'air sent les noix fraîches
je ne sais rien d'autre.
31.
L'océan me contemple
Je contemple l'océan
Le ciel bleuit; il est transfuge
Chaque mot
pose la même question:
lentement l'eau l'arbre
se penchent mirant
au ciel frissons et
couronnement mousseux
Pourtant il manque
l'oiseau - personne -
le ciel blessant: il est
transfuge.
32.
Le poëte ordonnait
au feu de brûler
les lèvres goûteuses
et l'eau en guise de langage
de venir serpenter
entre les racines de l'arbre-monde
Puis il ferma les yeux
pour ne plus croire ni ne faire
33.
J'aime un poëte
je prends la plume
une limace rampe
sur l'arrête aigüe:
Je marque le jour
d'une pierre blanche
34.
La nuit il pleut
une odeur de tourbe mouillée
les grandes ombres massées
au coeur de la forêt
où roucoule un ramier
35.
Aussi
composer un monde
à l'aide de ses dents
de ses lèvres, de sa langue
puis se mettre à parler
sans donner de nom
ni adresse
36.
L'oeil de la parole
palpite dans ce visage
qui m'est cher
Seule âme
seule paupière douce
pétale, puis en fin s'envole
l'amour